Monde du vin: agriculture VS luxe

J’ai découvert le vin à Bordeaux. Et pas n’importe comment… en organisant et en assistant pendant 1 an à des visites hebdomadaires dans les Grands Crus Classés de Bordeaux. Tous mes mercredis après-midi étaient donc réservés à cette activité dont je me souviendrai toute ma vie : visiter, découvrir, écouter, apprendre et goûter les plus grands vins du monde, diront certains. Je réalisais déjà à l’époque la chance que j’avais. Mes 3 années d’études à Bordeaux ont été 3 années très riches en dégustations de grands vins, mais aussi en rencontres et salons dans le milieu bordelais souvent qualifié de très « fermé ». Quoi qu’il en soit, même lors des visites des chais et châteaux, tout était toujours im-pe-ccable. Du service, en passant par la visite, mais aussi et surtout par l’extrême propreté et le design époustouflant de bons nombres de châteaux et de leurs chais. Très clairement, Bordeaux vous en met des paillettes plein les yeux et les papilles. Welcome to : le monde du luxe.

Photos personnelles, toute utilisation ou reproduction est interdite. Ces images ne sont pas libres de droit.



Bien évidemment, j’avais déjà conscience que Bordeaux est un milieu particulier et qu’il n’est pas la norme. J’ai voulu aller voir plus loin en découvrant les vignobles étrangers. Je suis alors partie en Afrique du Sud, dans la région viticole du Western Cape (Stellenbosch / Cape Town / Hermanus). C’est certainement la meilleure expérience que j’ai réalisée jusqu’ici. Je travaillais alors en tant que sommelière et chargée de marketing pour un domaine luxueux. Welcome to : un tout autre monde. Le domaine avait de bons moyens financiers, s’inspirait des plus grands vins français et italiens et était situé dans un cadre idyllique à flanc de montagne avec une vue superbe sur Gordon’s Bay. En Afrique du Sud, l’œnotourisme est très développé et chaque « Wine Estate » reçoit de nombreux visiteurs. Nombreux sont les domaines accueillants les visiteurs dans un magnifique cadre, comprenant salle de dégustation et personnel dédié à cette activité, restaurant, lieu de réception, hôtel etc…
Sauf que, la réalité de l’Afrique du Sud ne correspond pas tout à fait à celle de la France et encore moins à celle de Bordeaux. Le pays reste encore marqué par l’Apartheid et les inégalités sociales. Les visiteurs et acheteurs font partie de la classe supérieure et tout est fait pour correspondre à leurs attentes et leur en mettre plein la vue. Cependant, les travailleurs moins qualifiés (femmes de ménage, serveurs, livreurs, ouvriers viticoles…) sont majoritairement issus de l’immigration, sont des travailleurs pauvres et/ou vivent dans les « townships » (comprenez bidonvilles) avoisinants les domaines viticoles clinquants. Très rares sont les personnes issues de ces milieux défavorisés ayant des responsabilités dans les domaines viticoles. Le pays est aussi durement marqué par le chômage et l’addiction à l’alcool. Le vin y est alors vu à la fois comme objet social distinguant les plus riches et montrant leur réussite sociale, mais aussi comme un moyen d’oublier les maux d’une partie entière de la société. La différence la plus frappante pour moi a été lorsque, dans la même journée, je suis allée animer avec les vins du domaine l’ouverture d’une boutique Chanel dans un centre commercial de Cape Town et que je suis retournée au domaine. J’ai alors croisé sur mon chemin les ouvriers viticoles, qui, après une journée à couper des cèpes et à tailler des parcelles très en pente, descendaient la montagne à pieds pendant environ 1h pour pouvoir rejoindre leurs maisons de tôles car aucun d’eux n’avait ni voiture, ni moto. L’Afrique du Sud a de merveilleux vins et terroirs à mettre en avant mais est encore loin de l’égalité sociale ! Le luxe, d’accord, mais à quel prix ?

Photos personnelles, toute utilisation ou reproduction est interdite. Ces images ne sont pas libres de droit.

Retour en France, 1 an après cette expérience à l’autre bout du monde. Après avoir étudié beaucoup de théorie sur le vin, j’ai eu l’envie de découvrir le côté pratique. Ni une, ni deux, je postule en tant qu’assistante maître de chai chez Arnaud Lambert à Saumur. Son approche biologique et parcellaire m’a vite donné envie de rejoindre l’équipe. Les vins sont superbes, le savoir-faire et la maîtrise y sont de plus en plus précis. Sauf que là, je suis clairement passée de l’autre côté : bye bye le marketing et la vente, les talons et le maquillage ; j’avais comme qui dirait « les mains dedans ». Et c’est peu dire… Entourée d’une équipe d’hommes, j’étais la seule fille avec, il faut l’avouer, un manque de force non-négligeable. Les vendanges, ok, ce n’est pas le plus dur (sauf pour le dos, pendant les 3 premiers jours). Mais c’est ensuite environ 1 à 2 mois de travail très physique au chai qui découle de ces vendanges. Je crois que l’on oublie souvent l’origine du vin : le raisin. Raisin qu’il faut chouchouter. Les parcelles de vignes nécessitent un entretien régulier : une équipe complète est souvent dédiée à la viticulture. Leur année passée à l’extérieur (qu’il pleuve, vente, neige ou fasse très chaud) à tailler, sectionner, déplanter, replanter, bouturer, labourer, traiter, vendanger, goûter, effeuiller… représente un travail physique considérable d’allers et retours dans les rangs de vigne. Et évidemment, plus le domaine est grand, plus ce travail est colossal. La vigne est un être vivant dont il faut prendre soin, et c’est grâce à elle que l’on tire les meilleurs vins. Puis à l’heure de la vendange, le travail au chai consiste à réceptionner les raisins, à les porter, à les trier, les érafler, les presser, les écouler, les contrôler… Avec un entrelacement infini de tuyaux et pompes très lourds à porter et de cuves et pressoirs à nettoyer. L’hygiène est primordiale dans un chai. Des mètres et des mètres de tuyaux gorgés d’eau ou de vin à transporter, brancher et serrer. Mais ce travail n’est pas que physique, il est aussi un travail de précision et de concentration. De minuscules décisions et manipulations vont jouer sur le produit final qu’est le vin, il ne faut donc surtout pas se tromper ! Des hectolitres de vin sont en jeu. J’avais très clairement quitté le monde des paillettes pour celui de la viticulture.

Le vin existe depuis 3000 ans avant JC, et même en 2021, même si le vin brille dans le monde entier et est parfois synonyme de luxe, il en reste toujours un produit issu de la terre travaillé par des agriculteurs. Toutes ces expériences me permettent aujourd’hui de comprendre ces deux aspects de la filière qui parfois s’opposent, parfois s’entremêlent.

Photos personnelles, toute utilisation ou reproduction est interdite. Ces images ne sont pas libres de droit.

1 commentaire

  1. L’article est très intéressant sur la perception du vin comme un produit originaire du monde agricole et aussi mis sur le marché (en fonction de sa provenance) comme un article de luxe, et même statutaire en fonction des cultures

Laisser un commentaire